Les Contes de Perrault et leur double lecture

Qui ne connaît pas les Contes de Perrault ? Mais si tout le monde connaît, peu de personnes savent vraiment lire entre les lignes de ces contes…

Au cours de ma deuxième terminale littéraire, le programme de littérature était composé des études de Jacques le Fataliste de Diderot, des Planches Courbes de Bonnefoy, des Métamorphoses d’Ovide et des Contes de Perrault. En voyant cette dernière œuvre, tout le monde s’est demandé où était la caméra cachée. Étudier les Contes de Perrault à 18 ans, l’avoir au programme pour le bac… on s’est tous un peu interrogés.

Jamais je n’aurais pensé que les contes pouvaient avoir un véritable aspect littéraire au-delà du loisir, de la lecture pour les enfants. Cette partie du programme sur Perrault m’a littéralement tenue en haleine.

Petite introduction d’abord aux auteurs et aux œuvres :

Perrault est un auteur du 17ème siècle, tellement connu qu’on lui attribue des contes qu’il n’a pas écrit (Blanche-Neige, La Belle et la Bête entre autres). Les Contes ont eu du succès au point qu’aujourd’hui, ils ne désignent plus plus une œuvre, mais un genre littéraire à part entière.

Il y a un mouvement esthétique et idéologique qui traverse les contes de Perrault. Au 17ème siècle, l’enfant n’est pas du tout un public pour les éditeurs. La pédagogie par la lecture est le privilège de l’aristocratie.

 

Les fonctions du conte :

* Le conte est au centre de la famille, il l’unit autour de l’histoire.

* Il désigne un récit court d’aventures imaginaires et se caractérise souvent par une morale, censée donner aux enfants le chemin de la vertu.

* Il est basé sur la répétition pour permettre à l’enfant de mieux assimiler la morale (exemple : le Petit Poucet est abandonné deux fois, rythme binaire ou ternaire souvent présent dans les contes).

* Stéréotypes manichéens : personnages extrêmement bons et mauvais pour que les enfants distinguent parfaitement le vice de la vertu.

Moralités claires :

Le petit Chaperon rouge : se méfier des séducteurs, obéir à ses parents…

Barbe-Bleue : la curiosité est un vilain défaut…

Les Fées : l’honnêteté est toujours récompensée, l’impolitesse punie…

Perrault est donc un écrivain moraliste ; cependant, l’œuvre présente des ambigüités qui montrent qu’elle va au-delà de cette fonction didactique.

Les moralités ambiguës :

Exemple avec les Fées : c’est l’histoire d’une jeune fille envoyée à une fontaine par sa mère et sa sœur, toutes les deux aussi désagréables l’une que l’autre (évidemment !). Après avoir été serviable envers une vieille femme (en fait la fée) qui lui demandait de l’eau, elle se voit dotée d’un don : à chaque parole sortira de sa bouche une pierre précieuse. La mère, en voyant ça, envoie son autre fille, qui sera impolie avec la fée, et qui recevra comme « don » celui de cracher des crapauds et des serpents. Considérée comme la coupable de leur malheur, la première gentille jeune fille est chassée. Dans une forêt, elle rencontre un prince, qui, « séduit » par ce don, l’emmène pour l’épouser.

Au final :

– Il n’y a qu’une fée ! Le titre ne reflète pas le contenu !

– Pourquoi la mère chasse-t-elle sa fille plutôt que de profiter des trésors ?

– Pourquoi la fée change-t-elle d’apparence ?

– Pourquoi le prince s’intéresse-t-il autant aux diamants qui sortent de la bouche de la jeune fille ? (je cite : « considérant qu’un tel don valait mieux que tout ce qu’on pouvait donner en mariage à une autre« )

– A aucun moment, il n’est dit que la mère regrette d’avoir chassé ses filles et laissée mourir l’une d’entre elles !

On comprend donc vite que les destinataires des contes sont d’abord les parents ! Ce n’est pas tellement le vice et la vertu qui sont en cause mais le rôle parental. Perrault interroge les parents sur la façon dont ils élèvent leurs enfants, lorsque que, par exemple, il utilise le terme « folie » pour qualifier l’amour de la mère pour sa fille aînée.

Également dans le Petit Chaperon rouge, quel genre de mère laisserait sa petite fille se balader seule dans une forêt ?

Vous aurez également remarqué que :

* Le loup n’est pas puni pour avoir mangé le petit Chaperon rouge (il représente l’homme au même titre que dans les Fables La Fontaine)

* Le Chat Botté permet à son maître de devenir roi par des moyens peu louables.

* Peau d’Âne pourrait épouser son père en voyant les belles robes ; c’est en voyant la peau d’âne qu’elle refuse de se marier avec lui.

* Dans le Petit Poucet, la femme de l’ogre est plus protectrice envers les enfants que leur propre mère.

* Dans le petit Chaperon rouge, la mère est à l’origine de la dévoration de la fillette.

La vertu et le vice se confondent donc parfois.
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Pour aller plus loin :

Le petit Chaperon rouge répond à toutes les questions du loup : d’après le célèbre psychologue Bettelheim, inconsciemment, elle veut que sa grand-mère se fasse dévorer. On remarque aussi qu’elle s’intéresse beaucoup au corps du loup… de plus, le chaperon était un vêtement de femmes et non de petites filles… sans compter que la couleur rouge renvoie à la sexualité.

Dans Barbe-Bleue, le sang sur la clé ne s’efface pas… mais l’ogre n’a pas besoin de cet objet pour comprendre que sa femme a fauté.

D’après je ne sais plus quel psychologue – probablement Bettelheim -, l’ogre est conscient d’égorger ses filles ! Perrault écrit : « ayant senti les bonnets de nuit sur les têtes de ses filles, il les égorge sans hésiter« .
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Bref, un très rapide condensé de ce qui a été étudié pendant ces quelques mois. Si le sujet vous intéresse, je vous recommande Psychanalyse des contes de fée de Bruno Bettelheim ;)

[Lecture] Barbe-Bleue : le roman des 20 ans de Nothomb

Amélie Nothomb est un de mes écrivains préférés. Je suis fidèle à très peu d’auteur contemporain à la base, et même après avoir été déçue maintes fois avec ses livres (je trouve les derniers franchement pas à la hauteur des premiers), je ne sais pas pourquoi, je reste fidèle et je ne l’aime pas moins pour autant. Son style, la pointe d’humour et les chutes à la fin de ses romans (bon, on aime ou on n’aime pas hein) font que même avec une histoire banale, je ne parviens pas à être totalement déçue.

Je suis rentrée chez mes parents pour un long week-end et j’en ai profité pour piquer à ma mère ce Barbe-Bleue. Le titre m’intriguait beaucoup car j’adore les contes en général (j’ai eu la chance d’étudier les contes en Littérature, en terminale littéraire, et c’était passionnant) et surtout CE conte en particulier que j’ai toujours adoré.

J’avais vu dans son interview au Grand Journal que (comme toujours) son héroïne n’était pas une midinette, mais une jeune femme pleine de poigne qui n’avait rien en commun avec toutes celles qui tombaient dans le panneau de Barbe-Bleue. Et c’est ce que j’aime aussi (entre autres, mais surtout) chez Nothomb, ses héroïnes sont de vraies héroïnes (au sens étymologique du terme, pas au sens de « personnage principal »), des nanas qui en ont sous le pied, qui ont de l’audace, du répondant et qui sont loin d’être faibles et fades.

L’intrigue : Saturnine Puissant est une belge de 25 ans travaillant au Louvre et qui cherche une colocation. Elle tombe sur une offre en or : une chambre luxueuse pour un prix dérisoire (du moins à Paris). Elle comprend vite pourquoi : les huit colocataires avant elles ont disparu…

Le schéma reste un peu le même : beaucoup de dialogues (heureusement et comme toujours bien ficelés et bien écrits), le goût de la métaphore et des formules y est, les personnages atypiques aux noms étranges et aux obsessions farfelues également.

Je trouve que le conte de Perrault est assez bien revisité sous la plume de Nothomb. Peut-être un peu facile puisqu’en plus d’avoir le même schéma que beaucoup de ses livres, celui-ci rappelle clairement Hygiène de l’assassin. Mais malgré tout, j’ai été emportée par ces petites phrases qui font mouche. La fin (la chute devrais-je dire) arrive et se termine peut-être un peu trop brutalement mais je l’ai trouvé assez surprenante (au point de me laisser un petit goût amer sur le coup). Je comprends que pour les 20 ans de l’écrivain, certains puissent être très déçus, mais j’ai quand même apprécié ma lecture. Bref, d’après moi, ce n’est ni son meilleur, ni son pire livre, mais une lecture sympa même si vous n’êtes pas spécialement fan.

Quelques extraits :

« Tomber amoureux est le phénomène le plus mystérieux de l’univers. Ceux qui aiment au premier regard vivent la version la moins inexplicable du miracle : s’il n’aimaient pas auparavant, c’était parce qu’ils ignoraient et l’existence de l’autre. »

« Je me réjouis que ces amours ne m’aient pas laissé indemne et je chéris ces séquelles. Non seulement elles ne m’empêchent pas d’aimer à nouveau, mais elles nourrissent mon amour pour vous. C’est la grâce du deuil. »

« Un regard extérieur sur votre œuvre. Ne pensez-vous pas que tout artiste en a besoin ?
– Non. Et surtout pas un photographe. C’est l’art auquel le secret convient le mieux. Un musicien ou un chorégraphe souffrirait je crois, de ne pas partager sa création. Un écrivain aime qu’on lui parle de ses textes. Le photographe ne jouit jamais autant que de son propre regard.
– Quelle conception autiste de la photographie !
– Tous les photographes sont autistes. S’ils en étaient conscients, ils nous éviteraient bien des vernissages.
»

Cliquez ici pour lire les 10 premières pages !

N’hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé, si vous l’avez lu, si vous aimez Nothomb, quel est votre préféré, ou si je vous ai donné envie de le lire… bref, dites-moi tout ;)

[Lecture] La Ligne Verte, une belle (re)découverte

Je suis une grande curieuse. Et parfois ça a du bon ! Il y a quelques mois j’ai acheté le livre de Stephen King, La Ligne Verte alors que j’avais vu (et énormément apprécié) le film une bonne dizaine de fois auparavant. J’avais malgré tout envie de savoir comment le bouquin était « fait » par rapport au film.

Le livre est découpé en six épisodes :

– Deux petites filles mortes
– Mister Jingle
– Les mains de Caffey
– La mort affreuse de Delacroix
– L’équipée nocturne
– Caffey sur la ligne

(Si vous avez déjà vu le film, vous arriverez sans doute à visualiser à quels moments ces titres correspondent.)

Le gardien chef du bloc E, Paul Edgecombe, arrive à un moment de sa vie où il a envie d’écrire ses mémoires. Le style est vraiment chouette, drôle à certains moments (d’un humour assez grivois parfois !), plutôt facile à lire, accessible sans aucun doute, et franchement bien écrit. On y trouve de très belles phrases.

Le livre est en fait plus profond, plus fouillé, plus exacerbé que le film (sans en devenir trop long ou chiant). J’ai d’ailleurs été déçue sur un point : le film est fidèle au livre dans l’ensemble, mais il y a néanmoins des passages dans le livre qui sont sublimes ; c’est un crime de ne pas les avoir retranscrits ! Quelques nuances également, dont je ne comprends pas bien l’effet (en fait, le film se veut plus porté sur le côté « magique » et surnaturel et c’est très dommage). Par exemple, dans le film, John Caffey « force » Edgecombe à voir qui a tué et violé les deux petites (si vous avez vu le film, vous voyez de qui je veux parler ;)). Dans le livre, Edgecombe le comprend tout seul, à force de « pressentiments » et de déductions logiques. Il est vraiment déterminé à découvrir la vérité et joue les détectives, ce qui n’apparait pas dans le film puisque la vérité lui arrive toute cuite dans la bouche…

Pour vous donner un exemple, il est dit notamment que Caffey est accusé d’avoir appâté le chien des Detterick (les parents des fillettes) avec une saucisse avant de lui avoir tordu le cou pour éviter qu’il aboie lorsqu’il enlèverait les filles, saucisse se trouvant dans un paquet dans sa poche, qui contenait aussi un sandwich. Le paquet avait donc été ouvert puis reficelé selon les juges. Or, Edgecombe lui tend un jour sa chaussure et se rend compte que Caffey est incapable de se souvenir comment on fait un nœud ; il n’a pas donc pas pu ouvrir le paquet et le refermer avec la ficelle… entre autres. Il est aussi dit qu’Edgecombe ne peut pas sauver John Caffey ; l’affaire ne pourrait pas être rouverte, puisqu’on préfère exécuter un « nègre innocent » plutôt qu’un « blanc coupable ».

Tous les sentiments, toute l’angoisse, la culpabilité, la tristesse et le désarroi sont amplifiés dans le livre, John Caffey y est 1000 fois plus touchant, Edgecombe pleure souvent et est totalement dévasté de devoir « tuer ce miracle envoyé par Dieu ». Juste avant l’exécution de John, Edgecombe va s’agenouiller avec lui pour prier, et va se mettre à pleurer. Paradoxalement, c’est Caffey qui va l’aider à se relever. Un moment magnifique, joliment écrit, et malheureusement absent du film. Le film a sans doute été réalisé de façon plus « neutre », dans un pays où la peine de mort est encore d’actualité…

A l’inverse du film, on sait ce qu’il advient de la souris (Mr Jingles), de tous les autres gardiens, de la femme de Edgecombe, puisque le gardien a survécu et continue de survivre à tout le monde depuis que John Caffey lui a tenu les mains…

Bref, tant de petits ou de gros détails si jolis qui ne figurent pas dans le film ! Je ne regrette absolument pas cette lecture, elle m’a vraiment bouleversée et je la relirais volontiers une prochaine fois.

Le petit extrait connu de (presque) tous, juste pour la beauté des mots :

Boss, j’suis fatigué à cause de toute la souffrance que j’entends et que j’sens. J’suis fatigué de courir les routes et d’être seul comme un merle sous la pluie. De pas avoir un camarade avec qui marcher ou pour me dire où on va et pourquoi. J’suis fatigué de voir les gens se battre entre eux. C’est comme si j’avais des bouts de verre dans la tête. J’suis fatigué de toutes les fois où j’ai voulu aider et que j’ai pas pu. J’suis fatigué d’être dans le noir. Dans la douleur. Y a trop de mal partout. Si j’pouvais, y en aurait plus. Mais j’peux pas.
-Arrête, j’ai essayé de dire. Arrête, lâche-moi les mains, je vais me noyer si tu me lâches pas. Me noyer ou exploser.
-Vous exploserez pas, boss, il a dit en souriant un peu à cette idée… mais il a libéré mes mains.

La Ligne Verte – Sixième épisode « Caffey sur la ligne »

 

Bonne soirée à toutes !