Après avoir visionné un reportage très intéressant sur la paternité des œuvres de Molière, je me décide à en faire un article. J’avais déjà eu vent de cette « rumeur » au cours de mes études de Lettres mais je ne m’étais jamais véritablement penchée dessus. C’est chose faite !
En 1658, Molière se produit lors d’un spectacle privé devant le roi Louis XIV, qui a alors 19 ans. C’est un succès immense. Il devient le favori du roi, une sorte de bouffon. Auteur, acteur, metteur en scène, tapissier et valet du roi (deux fonctions qu’il hérite de son père, un commerçant très aisé), Molière préfère une vie d’acteur instable à une vie de commerçant bien rangée. Cette ascension fulgurante (justement peut-être trop fulgurante ?) laisse sceptiques bon nombre d’historiens…
Aucune trace écrite
Tous les manuscrits de Molière ont disparu… chose qui n’est pas extrêmement rare à l’époque, puisqu’on gardait les manuscrits seulement pour les œuvres non publiées. Mais de la main de Molière, il ne reste que quelques signatures sur des actes notariés. Aucun manuscrit, aucune correspondance, aucun petit mot, absolument rien. On dit qu’un jour, bien après sa mort, en 1720, un homme vint se présenter avec un coffre à la bibliothèque nationale un matin de très bonne heure en demandant à voir les conservateurs de toute urgence. On lui répondit que les conservateurs n’étaient pas encore levés. L’homme répondit avant de repartir : « Écoutez-moi bien car vous ne me reverrez plus jamais : j’ai tous les papiers et manuscrits de Molière dans ce coffre« . Mais il semble que cette anecdote relève de la légende urbaine… nous ne le saurons jamais !
De quoi effarer certains hommes de lettres et historiens : on parle dans le langage courant de « langue de Molière » pour désigner le français, pour un écrivain dont on n’a pas une seule ligne manuscrite ! (Parler de la « langue d’Hugo » serait quand même un poil plus approprié quand on pense 53 volumes qu’il a grattés ;))
Une vie mystérieuse…
Quand, comment et où a-t-il écrit ses pièces ? Personne ne sait. Les zones d’ombre autour de sa vie sont nombreuses… il n’y a qu’à voir le flou dans sa biographie. On sait en tout cas que sa troupe de théâtre « L’illustre théâtre » connait un échec, Molière étant un piètre tragédien. Près de 13 ans plus tard, son succès est immense. Mais de ces 13 années entre son dernier échec et son succès immense, il n’existe aucune trace ! On sait où il a voyagé grâce à des registres paroissiaux. Et on sait surtout qu’il arrive à Paris et qu’au bout de 3 semaines, il joue Attila, une tragédie de Corneille devant le roi. Comment un succès si soudain est-il possible ? D’après les détracteurs de Molière, une collaboration, un pacte entre Corneille et Molière aurait commencé avec cette fameuse pièce…
Véritable génie ou faux auteur ?
L’alternance de plusieurs styles fait aussi beaucoup parler… certains se demandent comment un seul auteur peut à la fois écrire des farces, des tragédies, des comédies de mœurs, avec des styles différents pour chacune d’entre elles. Pour une poignée d’historiens, il n’y a pas discordance : il y a carrément rupture entre les styles, ce qui laisse penser que Molière n’est pas l’auteur de ces œuvres, ou du moins qu’il s’est largement fait aider. C’est Pierre Louÿs (en 1919), dans un article publié dans la revue littéraire Comoedia et intitulé « Molière est un chef-d’œuvre de Corneille » qui dit avoir démasqué une supercherie littéraire. La ressemblance stylistique entre Molière et Corneille ne fait aucun doute pour lui : Corneille a été le « nègre » de Poquelin.
En 1658, avant d’aller à Paris et d’y connaitre un énorme succès, la troupe de Molière passe 6 mois à Rouen… la ville où habite Corneille. On ne sait rien de leur « relation » pendant tout ce temps, on constate seulement qu’après ces 6 mois, à 37 ans, Molière devient « subitement » un génie… La collaboration officielle des deux hommes se serait faite pour la pièce Psyché, mais un pacte plus secret aurait continué pendant très longtemps…
Pourquoi Corneille se serait-il caché derrière Molière ?
A ce moment, Corneille était apparemment « passé de mode » depuis l’arrivée de Racine ; on dit qu’il avait du temps malgré son travail d’avocat, et surtout besoin d’argent pour ses six enfants. Lorsqu’on regarde les comptes de Corneille, entre l’addition de tout ce qu’il a touché, et l’addition de tout ce qu’il a dépensé, il y a un écart énorme. Une nouvelle perche pour les détracteurs de Molière : Corneille a touché de l’argent non déclaré, par Molière sans doute, qui le payait en échange du succès de ses pièces.
De plus, il aurait été intéressant pour Corneille de critiquer son époque via Molière, qui était intouchable. On ignore si Louis XIV était au courant de ce pacte entre les deux hommes. En 1663, une liste royale qui récompense les auteurs montre que Molière a reçu 1000 livres par an… Corneille 2000 livres. Néanmoins, chacune de ses hypothèses peuvent être réduites à néant, ou presque. Les défenseurs de Molière affirment que c’est impossible (si cette collaboration avait eu lieu) que personne n’ait filtré l’information. Surtout à cette époque et à Paris, dans un milieu littéraire où absolument tout se sait. Corneille, ou même son frère après la mort des deux auteurs, n’aurait jamais pu garder un secret pareil, surtout Corneille dont on dit qu’il était plutôt vaniteux. Denis Boissier, l’instigateur du site
Corneille-Molière, déclare : «
Il s’agit de réhabiliter le génie de Corneille, qui versifiait avec une rapidité stupéfiante, et dont on méconnaît le tempérament secret et mystificateur ». Dans un de ses livres, il écrit même : «
Corneille est toujours présent aux étapes décisives de la carrière de Molière, ce qu’occultent les biographies officielles ». Molière semble critiquer Corneille dans
L’École des Femmes, mais Corneille aurait-il pu se critiquer lui-même pour protéger ce secret ? Il en va de même pour le vocabulaire assez scabreux de l’œuvre, on dit que Corneille était trop puritain pour être capable d’écrire d’une façon aussi grossière… Idem pour Molière qui a épousé sa belle-fille Armande Béjart (elle a 18 ans, il en a 40) : il ridiculise dans
L’École des Femmes une situation quasi-identique à celle qu’il vit à ce moment là. Certains historiens trouvent cette critique très « cornélienne ». De même, Molière aurait critiqué les frères Corneille à plusieurs reprises… la collaboration semble ici difficile à croire, à moins qu’ils se soient brouillés en cours de route ! Vraie rivalité, hypocrisie explicite ou brouillage de pistes, on ne saura jamais…
En 2001, les œuvres de Molière et celles de Corneille sont comparées par informatique et par formules mathématiques. Les résultats sont « scientifiquement indiscutables » pour ce « cas unique dans l’histoire littéraire ».
Mais là encore, certains (moi y compris) trouvent absurdes ces résultats qui ne prennent en compte que le vocabulaire (il est normal qu’il soit le même pour deux auteurs de la même époque). Le style n’est pas que le vocabulaire, étudier le style, c’est prendre en compte la phrase, son rythme, son ampleur et bien d’autres choses exclues dans ces « recherches scientifiques ». De plus, on remarque que les pièces de Corneille, étaient très dures à jouer, contrairement à celles de Molière, dont on peut penser qu’il y avait là la « plume d’un acteur ». En conclusion, on trouve des hypothèses valables et d’autres beaucoup moins valables des deux côtés de cette affaire… et comme la plupart des grands mystères, nous n’aurons sûrement jamais de réponses !